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En vous saluant, je tiens d’abord à vous remercier de votre présence qui rend
cette église aussi royale que son rang de basilique l’indique. Ainsi va la vie,
temporelle ou spirituelle : on y avance à petits pas et par étapes. C’est aussi
le cas de Valère où nous nous retrouvons 4 ans après avoir fêté la réouverture
du musée cantonal d’histoire. Aujourd’hui, nous avons encore pris un peu d’altitude
pour entrer dans cette basilique afin de marquer deux événements importants :
la remise en voix de son joyau, le vénérable orgue ancien, et la remise en lumière
de la nef grâce à la réouverture de la rose qui domine l’orgue. Son et lumière
en quelque sorte… Le chantier de restauration de l’ensemble des bâtiments historiques
qui composent ce site n’est pas terminé mais il est juste et bon de fêter une
étape importante de cette œuvre pour laquelle Eglise et Etat ont su ajuster leurs
rôles. Dès sa création au XIIème siècle, Valère fut le lieu de résidence des chanoines
qui constituaient le Vénérable Chapitre, conseil de l’Evêque et parfois son contre-pouvoir.
Au cours des siècles, une véritable petite ville fortifiée s’est construite autour
de la basilique. La valeur exceptionnelle de l’ensemble, renforcée encore par
sa situation au sommet d’une des deux collines de Sion, est largement reconnue
sur le plan international. Sa conservation a été placée, voici plus d’un siècle,
sous la responsabilité du canton. A la valeur historique et patrimoniale de Valère
s’ajoute une valeur naturelle et paysagère considérable, puisque l’ensemble Valère
et Tourbillon est également protégé et classé à l’inventaire fédéral des paysages.
Le site de Valère, laissé pratiquement à l’abandon depuis le départ des chanoines
vers la ville, a été restauré une première fois entre 1890 et 1910. Les travaux
importants de cette époque lui ont permis de vivre, puis de vivoter, jusqu’en
1985. C’est à partir de 1986, après la signature d’une nouvelle convention et
grâce aux crédits successifs accordés par le Grand Conseil, qu’un vaste chantier
de restauration a été entrepris, en commençant par les toitures, pour "mettre
le bébé au sec". Les travaux se poursuivent à raison de 1,5 million par année.
Dans cette oeuvre à la fois immense et délicate, nous sommes aidés par la Confédération.
Je tiens à la remercier pour l’aide financière - 35%, ça n’est pas rien ! - et
pour l’appui scientifique inestimable qu’elle nous accorde. Espérons que la nouvelle
répartition des tâches entre Confédération et cantons permette de maintenir ces
aides sans lesquelles notre canton ne pourrait ni ne saurait assurer la conservation
des nombreux monuments qui rehaussent son paysage et témoignent de la culture
de ce pays. J’en profite aussi pour remercier le professeur Alfred Schmid qui
a accompagné cette restauration dès le début, et le professeur Bernhard Furrer,
président de la commission fédérale des monuments historiques, qui assure, par
sa présence régulière aux séances de la commission de restauration, l’appui scientifique
indispensable à une si délicate entreprise. La Confédération n’est pas seule à
nous aider, c’est pourquoi je tiens aussi à dire notre gratitude à la commune
de Sion qui participe à raison de 20%, et au Vénérable Chapitre qui assume le
10% des travaux de la basilique. L’union fait la force ! Après ces considérations
matérielles, laissez-moi m’élever un peu et vous parler de l’orgue ancien qui
nous surplombe. Je vous dois en effet quelques tuyaux... Nous savions bien des
choses sur cet orgue : que ses premiers éléments remontent à 1390, que ses volets,
oeuvre de Pierre Maggenberg, datent de 1435, qu’une première et importante transformation
avait été menée par le facteur d’orgues Christophe Aebi en 1687. La restauration
qui s’achève a permis de confirmer ces datations. Nous avons même découvert que
les parties d’origine sont plus nombreuses et plus importantes qu’on ne le pensait,
confirmant ainsi qu’il s’agit de l’orgue jouable le plus ancien et le plus complet.
On sait aussi que cet orgue n’était pas placé à l’origine sur la façade occidentale
: ce n’est qu’au XVIIe siècle qu’il s’est assis sur sa tribune en nid d’hirondelle
où il trône aujourd’hui et pour longtemps, afin qu`il continue à nous enchanter
dans le cadre du superbe festival de l’orgue ancien organisé avec passion et compétence
par M. Maurice Wenger et son comité. Je vous invite maintenant à remonter à la
fois dans le temps et dans l’espace et, levant les yeux encore un peu plus vers
le ciel, à admirer la rose du pignon occidental de la basilique. Lorsque nos ancêtres
ont édifié cette église en style roman au XIIème siècle, puis l’ont rehaussée
en langage gothique au début du XIIIème, ils ont créé, dans la grande tradition
des bâtisseurs de cathédrales, une rose dans cette façade ouest. La rose était
donc là bien avant l’orgue, et ses constructeurs l’avaient pourvue d’un vitrail
dont on a retrouvé les traces de fixation. Il y a quelque sept siècles déjà, en
raison de difficultés dues à la forte exposition de la façade aux vents d’ouest
et à l’impossibilité technique, pour l’époque, d’en assurer l’étanchéité, la rose
avait été obturée par de la maçonnerie, n’en laissant plus percevoir que des traces.
Les matériaux utilisés pour ce bouchon se dégradèrent peu à peu, mettant en péril
aussi bien les éléments cachés de la rose que l’orgue situé en contrebas. Après
de nombreuses études et recherches, on a donc décidé de libérer la rose de sa
gangue, d’en remplacer les éléments friables et dangereux par une pierre plus
résistante et de la protéger au moyen d’une verrière permettant d’assurer l’étanchéité
et de contrôler l’apport de chaleur et de lumière. Cette nouvelle éclosion de
la rose est un événement architectural important : elle redonne à la basilique
son intensité lumineuse originelle et rétablit le dialogue entre la lumière provenant
du chœur et celle, restituée, du pignon occidental. L’église est ainsi à nouveau
en tension entre ses deux pôles principaux, l’orient et l’occident - entre Haut
et Bas Valais, dirait un citoyen espiègle... Mais restons sérieux. Dans le verre
central, un extrait du « cantique des créatures » de Saint François d’Assise,
contemporain de la rose initiale, a été inscrit dans le verre. C’est ce texte
qui figure au dos de votre invitation : « Loué sois-tu, mon Seigneur, pour frère
Soleil, par lui tu nous illumines ». Gravé dans le verre et tout de transparence,
il n’apparaîtra qu’à certains moments de la journée lorsque le soleil le décidera,
ou lorsque la poussière du temps s’y sera déposée. Vous ne me croyez pas parce
que vous ne le voyez pas ? Gens de peu de foi, c’est normal en ce 3 juillet, jour
de la fête de Saint Thomas ! Si vous doutez, vous devrez, comme Thomas, promener
vos doigts sur ce disque de lumière pour en lire le message. Saint Thomas est
aussi le patron des bâtisseurs que je remercie ici tous ensemble, le patron des
géomètres, donc le mien, et celui des architectes. L’architecte cantonal Bernard
Attinger a dû l’invoquer fréquemment au cours de cette restauration. Il se voit
récompensé par la réussite, et nos remerciements. Pour fêter ses 25 ans d’activité
à la tête de son service, il offre à cette basilique une rose de lumière et, à
la ville de Sion, un nouveau pignon occidental. C’est à cause de lui que la capitale
devra réimprimer ses cartes postales montrant Valère... Il est temps maintenant
que je vous remercie de votre attention et que je cède la place au soleil afin
qu’il puisse, après sept siècles d’attente, à nouveau entrer depuis le Bas-Valais
et venir frapper le choeur de cette basilique : « Laissez entrer frère Soleil
! » |