Les transports, moteur de politique transfrontalière, 09.10.99

Foire du Valais, Martigny Journée officielle de l`Association Valais-Argentine Politique internationale et transfrontalière LES TRANSPORTS : MOTEUR DE LA POLITIQUE TRANSFRONTALIERE (Salutations particulières aux hôtes argentins, haut-savoyards et valdôtains.) Martigny est une ville particulièrement bien choisie pour ce thème : elle constitue un exemple de structure rayonnante en matière de voies de communications internationales (véritable rose ... des vents) INTRODUCTION - C`est un lieu commun de dire que, de tous temps et aujourd`hui encore les transports constituent un vecteur indispensable au développement des échanges, donc des régions. Ce vecteur à lui seul n`est cependant pas suffisant et doit être accompagné par d`autres conditions cadres. L’examen de ces autres conditions cadres nous mènerait trop loin, je me bornerai aux transports. - Dans les liaisons transfrontalières, la question des transports est en général constituée de problèmes concrets (maillon manquant routier ou ferroviaire, liaison aérienne ou lacustre à développer, etc..), que les associations transfrontalières peuvent rapidement empoigner et tenter de résoudre. A titre d`exemple, au sein du Conseil du Léman la question du sauvetage de la ligne du Tonkin a très tôt bénéficié d`un appui politique et financier pour son maintien. - Vue à plus vaste échelle, la géographie des transports a connu et connaîtra encore de profondes modifications qui rapprocheront les régions, les pays et les continents les uns des autres. Signalons comme exemple, puisque nous célébrons aujourd`hui la journée officielle de l`Association Valais-Argentine, qu`il fallait à la fin du siècle passé entre 3 semaines et un mois pour réaliser ce déplacement qui était une aventure. Il se fait aujourd`hui en moins d`une douzaine d`heures. Il fallait à peu près ce temps à l`époque pour relier Martigny au Val d`Aoste. Aujourd`hui la liaison Martigny - Aoste se réalise grâce au tunnel routier du Grand-St-Bernard en une heure. Un tunnel ferroviaire de base permettrait de réaliser ce déplacement en moins de 20`.... - La modernisation du réseau ferroviaire européen et l`introduction des trains à haute vitesse et à haute performance ainsi que des connexions entre les réseaux permettra de réduire par exemple un trajet ferroviaire Sion - Londres de 15h00 à un peu plus de 6h00 ou une relation Sion - Barcelone de 10h40 aujourd`hui à 5h30 environ. - Pourtant les échanges transfrontaliers ne semblent pas toujours bénéficier de ces modifications de la géographie des transports, du rétrécissement de l’espace. Je me propose de vous présenter quelques raisons qui entravent le développement des échanges transfrontaliers et d’esquisser ensuite quelques axes de réflexion et d`action pour y remédier. POURQUOI L`EVOLUTION DES TRANSPORTS N`A-T-ELLE PAS PROFITE PLUS AU DEVELOPPEMENT DES ECHANGES TRANSFRONTALIERS ? - Avant de devoir noircir le tableau, disons qu’il y a heureusement des exemples positifs, tels que la réalisation au début du siècle du tunnel du Simplon après de longues négociations inter-étatiques et un engagement des régions concernées de part et d`autre du tunnel ; ce tunnel a ainsi pu contribuer largement au développement des échanges en la Suisse occidentale et le Nord de l`Italie, même s’il faut aujourd’hui se battre sans relâche pour la reconnaissance de son rôle. Il en a été de même pour le tunnel routier du Grand-St-Bernard dont la réalisation n`aurait jamais vu le jour sans un engagement et une mobilisation des régions de Suisse romande et du Val d`Aoste qui ont pallié le non-engagement des pouvoirs nationaux respectifs. La commande d`un matériel roulant commun aux deux tronçons de la ligne Matigny - Chamonix dit Mont-Blanc Express est un 3ème exemple où la collaboration régionale transfrontalière a apporté des résultats positifs concrets, même s’il a fallu, au passage, céder à un chantage fédéral... - Les exemples sont malheureusement tout aussi nombreux d`échecs ou de blocages de projets transfrontaliers pourtant évidents et urgents à réaliser. Citons l`amélioration des liaisons franco-suisse à travers le Jura dont les études se poursuivent sans qu`à ce jour des résultats tangibles n`aient encore aboutis. Citons également les essais successifs pour améliorer les infrastructures de transport sud-lémanique, routière d’une part (échec du projet d`autoroute sud-lémanique) et ferroviaire d’autre part (menace de voir disparaître la liaison ferroviaire obsolète entre Evian et St-Gingolph). Nous ne considérons évidemment pas ces échecs comme définitifs ! - Selon la synthèse d`une étude récente menée dans le cadre du programme national de recherche PNR 41 "Transport et environnement", synthèse intitulée "Politique des transports et régions frontalières : bilan, prospective et mode d`emploi" (CEAT août 1999), et à laquelle je m’autorise quelques emprunts puisque mon Département l’a en partie financée, ces échecs relatifs sont à rechercher dans les causes suivantes : ¨ Même entre les pays de l`UE où la libre circulation a été introduite, l`effet frontière demeure très marqué. Il convient de relever que, pendant très longtemps, les transports ont constitué un élément important, de stratégies nationales (politiques et militaires). L`héritage de cette politique reste particulièrement sensible dans le domaine ferroviaire pour lequel de nombreux réseaux sont discontinus au droit des frontières (lignes en cul de sac), les écartements ou les tensions d`alimentation sont différents voire incompatibles de part et d`autre. ¨ Aujourd`hui l`effet frontière se mesure surtout par des différences profondes dans le domaine institutionnel, législatif et fonctionnel de part et d`autre de la frontière, phénomène qui se trouve une fois de plus renforcé pour la Suisse en raison de sa non-intégration à l`Union Européenne. Ces embûches institutionnelles conduisent à des blocages, à des absences de décisions ainsi qu`à des difficultés de tous ordres, paralysantes pour les projets de transports tout particulièrement. ¨ L`effet frontière se mesure également dans certains cas par des décisions inter-étatiques portant uniquement sur les axes de transports principaux au détriment des axes régionaux et transfrontaliers de moindre importance. Citons, dans ce cas la fermeture de l`axe Delle-Belfort, la menace de suppression de la liaison Neuchâtel - les Verrières au profit d`un axe Lausanne - Vallorbe qui lui-même pourrait être mis en péril par un axe Genève-Mâcon.... , sans reparler de la liaison ferroviaire sud-lémanique... ¨ Une tendance analogue se dessine dans les transports aériens où la concentration sur un nombre réduit d`aéroport (HUB) des vols intercontinentaux en correspondance entre eux et avec les vols continentaux et nationaux menace la desserte d`aéroport et de régions jugées de moindre importance (cf. Zurich par rapport à Genève et à Bâle) ¨ Les découpages géographiques hétérogènes de part et d`autre des frontières conduisent souvent plus à des concurrences et à des rivalités entre axes à développer plutôt qu`à la recherche de solutions d`amélioration d`ensemble. Cette guerre entre axes a, de justesse, pu être maîtrisée dans le projet national AlpTransit entre les tunnels de base du Gothard et du Lötschberg. ¨ Les associations transfrontalières existantes, faute de compétences et de moyens politiques se limitent souvent à des actions de "promotion d`idées" (lobying) sans possibilité réelle d`établir des projets et encore moins de les concrétiser. AXES DE REFLEXION ET D`ACTION Après ce tableau plutôt négatif, il convient d`examiner et d`esquisser quelques axes de réflexion en vue de permettre aux transports de mieux jouer leur rôle de moteur de la politique transfrontalière : - Maintenant acquise dans les principes, une harmonisation des législations, des normes et des standards entre la Suisse et l`Union Européenne sera à concrétiser à la suite de la ratification des accords bilatéraux et du dossier des transports terrestres qui en fait partie. Cette harmonisation portera sur les domaines routier (40 tonnes) et ferroviaire (réforme des chemins de fer, projets et fiscalité coordonnés...) . La libre circulation des personnes et des biens renforcera également les échanges et le rôle des transports transfrontaliers. - Le renforcement de part et d`autre des frontières des compétences des régions et l`attribution des moyens nécessaires pour un certain nombre d`activités, en matière non seulement de transport mais également d`aménagement du territoire, d`environnement, etc.. constitue un autre impératif visant au renforcement de la politique transfrontalière. - Pour résoudre certains problèmes d`importance supra-régionale, des regroupements régionaux par association ou fédération seront également indispensables. L`entité de la Suisse occidentale comprenant les six cantons romands et Berne a démontré son efficacité pour faire aboutir la réalisation du tunnel de base du Lötschberg. Pour construire un partenariat avec des régions voisines d`Europe telles que Rhône-Alpes, le Piémont ou la Lombardie, la Suisse occidentale dispose d`une taille critique mieux adaptée que chacun des cantons membres isolément. - Une région Suisse occidentale forte permettra également sur le plan interne de défendre les intérêts économiques, culturels et sociaux de cette partie du pays pour le bien et l`avenir d`une Suisse multi-lingue et pluri-culturelle. - Ces regroupements régionaux doivent permettre de développer, en matière de transport, non plus des axes isolés, mais des solutions en réseau favorisant l`amélioration de la desserte d`ensemble. C`est ainsi également que l`amélioration des liaisons franco-suisses permettra, par la mise en réseau des axes existants, l`intégration de la Suisse occidentale au réseau ferroviaire européen. - Selon l`adage "mieux vaux gagner ensemble que perdre tout seul", ces regroupements régionaux permettront une mobilisation plus grande de part et d`autre des frontières de manière à transformer un besoin transfrontalier en un enjeu national. A l`inverse, pour des problèmes à caractère locaux transfrontaliers, des compétences claires doivent être données à des instances de niveau politique plus restreint afin de ne pas charger les pouvoirs de niveau supérieur de problèmes locaux pouvant être réglés à un niveau inférieur. CONCLUSION - Il faut en conclusion favoriser l`émergence d`une politique à géographie variable. Il y a des problèmes qui doivent être résolus au niveau planétaire comme par exemple les relations nord-sud, les phénomènes de malnutrition ou les menaces sur les grands équilibres écologiques, économiques ou militaires, etc... Il y a des problèmes à traiter au niveau de l`Union Européenne; les nations dont le poids des frontières sera allégé continueront néanmoins à traiter de problèmes à leur échelle. Des régions d`Europe sont à créer, qui compteront 5 à 15 mios d`habitants. Les régions transfrontalières devront être renforcées. Cette politique nouvelle à géographie variable implique une harmonisation des règles et institutions en matière de transport, d`aménagement du territoire, de politique économique et sociale ainsi qu`une nouvelle philosophie renforçant le rôle de l’homme face à des institutions qui soient ainsi mises à son service et non l`inverse. - La planète, dit-on, est devenue un village grâce au développement des transports et de la télématique. Ces moyens permettent de cultiver à travers les océans la fraternité telle que le montre l`association Valais - Argentine. Dans le domaine des transports terrestres, l`Union Européenne considère à juste titre la construction du réseau ferroviaire européen comme « un grand projet mobilisateur et fédérateur pour l`Europe, susceptible de contribuer très significativement à son intégration économique, sociale et culturelle ainsi que comme instrument de renforcement de solidarité et de cohésion interne ». C’est bien dit, cela reste à faire ! Que ce défi, à relever et à concrétiser pour l`Europe permette également de rapprocher et de dynamiser les régions transfrontalières, nous le voulons, nous nous y engageons. Nous avons en effet compris que le Valais reste périphérique s’il demeure enfermé dans ses frontières ; mais il devient central à chaque ouverture qu’il crée. Jean-Jacques Rey-Bellet Conseiller d`Etat
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