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(Texte composé à 2 et prononcé en alternance par Jean-Paul Duroux et Jean-Jacques
Rey-Bellet) Le hasard ou... la Providence a voulu que deux anciens élèves de ce
collège, externes de Saint-Maurice, accèdent quasi simultanément en mai 2003 et
pour un an à la présidence du Gouvernement et du Parlement valaisans. Deux anciens
élèves, amis d’enfance, qui ont suivi la filière de formation dite « classique
», dans la même classe, souvent sur le même banc, six ans durant sur les huit
que comptait le cursus d’alors. Ces longues années de vie collégiale partagée
n’ont, à l’évidence, pas eu d’effets de mimétisme sur nos apparences physiques
qui sont restées quelque peu différentes, mais elles ont largement contribué à
enrichir le terreau dans lequel a germé notre passion pour la chose publique.
C’est ce fait particulier que les autorités du collège ont, dès nos élections
respectives, voulu relever en nous invitant ensemble à vous apporter le bonjour
et le message des autorités cantonales, une double invitation pour laquelle nous
les remercions chaleureusement. Avec ou sans ENBIRO, le livre de la Genèse nous
apprend qu’il fallut 7 jours à Dieu pour créer le monde. Aux chanoines de l’Abbaye,
il fallait 8 ans pour forger un homme, huit années scolaires qui avaient pour
noms : Principes, Rudiments, Grammaire, Syntaxe, Humanités, Rhétorique, Philosophie
et Physique. Au commencement donc, le collège qui nous accueille dans ses entrailles
cet après-midi peinait à sortir des ténèbres qui couvraient l’abîme, comprenez
: à sortir de son chantier. Le recteur, Monsieur le Chanoine Isaac Dayer, résigné
et contrit de voir son oeuvre bégayer ainsi, écrivait chaque mois aux parents
que, malheureusement, la rentrée devait un nouvelle fois être différée de 30 jours,
ce qui faisait, au contraire, le bonheur des futurs étudiants que nous étions.
(JJRB : Je fus sans doute le seul à ne pas profiter de ce bonheur, mes parents
m’ayant replacé à l’école primaire pour m’occuper.) C’est ainsi qu’après quelque
six mois de vacances, au 1er décembre 1961, un collège tout neuf nous ouvrit ses
portes ainsi qu’à quelque 700 autres jeunes hommes. En ce temps-là en effet, les
jeunes filles étaient encore tenues hors les murs, d’autres établissements scolaires
proches leur offrant une formation commerciale ou classique dispensée par des
religieuses. La mixité n’était pas encore d’actualité, à l’insu de notre plein
gré comme le dirait un cycliste célèbre et fautif. Chers étudiantes, chers étudiants,
Comme vous, durant ces années de collège, en regard de la vie professionnelle
qui se profilait au loin, nous nous sommes interrogés bien souvent sur le bien-fondé
de certaines branches inscrites au programme, par exemple de la présence d’un
cours de calligraphie en première année, de l’utilité pratique d’une option "grec
ancien" ou de cours de philo, voire encore de la nécessité de la gymnastique scolaire...
Aujourd’hui, presque 35 ans après en être sortis munis de la précieuse maturité
ardemment souhaitée, il ressort de quelques exemples de la vie de cette école
que notre séjour ici a véritablement constitué une école pour la vie, chaque enseignement
trouvant un prolongement souvent insoupçonné, mais bien réel dans les engagements
qui sont devenus, bien plus tard, les nôtres. Ainsi, la calligraphie. Quelle idée
saugrenue de contraindre des étudiants, très jeunes il est vrai, à former les
lettres de l’alphabet jusqu’à la perfection quand un bon nombre d’entre eux finiront
avocat ou médecin, et devront surtout savoir écrire illisible ?! Et quelle déception
quand, encore tout auréolé de ma supériorité sur Jean-Paul, j’entendis 5 ans plus
tard notre professeur de français, dont l’écriture eût défié la perspicacité de
Champollion lui-même, me jeter, méprisant et définitif, son verdict: "Belle écriture,
écriture des ânes"... Pourtant l’exercice ne visait pas à nous permettre d’économiser
l’achat d’une machine à écrire, mais à soigner la forme de notre communication
avec les autres. Il ne fallait donc pas prendre la leçon ... à la lettre ! Bien
des années plus tard, lorsqu’il s’agit de faire passer un message dans une lettre
ou un discours, nous cherchons la forme la plus appropriée pour soutenir le fond.
Celle d’aujourd’hui est-elle la bonne ? A voir ! On peut toujours se tromper,
comme ce même professeur heureux de ma calligraphie qui se décourageait par contre
de mon accent de St-Maurice, au point de me menacer un jour : "Rey-Bellet, si
vous ne faites pas un effort pour perdre votre accent, vous ne pourrez jamais
parler en public". Vexé, je n’ai fait aucun effort depuis ; ça s’entend, je crois,
et le malheur prédit ne s’est manifestement pas réalisé... Prenons la gymnastique
: Branche secondaire par excellence, elle comptait peu dans la moyenne générale.
Pourtant, son apport à la formation de la personnalité était sans conteste important.
L’obligation faite à chacun de se balancer aux anneaux, de grimper aux perches,
voire de s’astreindre aux règles d’un jeu collectif, contribuait à la modestie,
les forts en thème n’étant pas nécessairement les plus agiles en gym. Et obtenir
la note idéale de gym en fin d’année scolaire pour avoir réussi enfin, malgré
une peur bleue et un temps médiocre, à atteindre le sommet des perches récompensait
non pas l’exploit, mais la victoire sur soi-même. Une branche tout à fait secondaire
peut-être, mais génératrice de cette confiance en soi si nécessaire dans l’exercice
de mandats politiques. C’est à peine si j’ose confesser mes doutes d’alors sur
la philosophie La philosophie, en effet, nous est apparue de prime abord, soit
comme une sorte de torture intellectuelle, soit comme un exercice théorique et
un façonnage du cerveau. Si les Epicuriens nous paraissaient sympathiques dans
la démarche et les Stoïciens utiles dans l’épreuve, que faire de Kant et de sa
raison pure ? Frappés de scepticisme à un âge - 18 ans - où l’idéalisme est de
mise, le réalisme des notes nous commandait de faire pourtant l’effort d’abstraction
que nous demandait notre professeur au nom breton... Sommes-nous devenus de parfaits
aristotélico-thomistes teintés d’un zeste d’absurde, ou l’inverse ? Le fait est
que contraindre l’esprit à la rigueur d’un raisonnement abstrait, à l’analyse
logique allant des prémisses aux conséquences et conclusions, cela nous fournit
une aide précieuse dans la démarche qui précède les nombreux choix et décisions
à prendre. La logique ne permet pas toujours de convaincre en ce temps où l’emporte-pièce
et le slogan assurent le succès médiatique, mais elle est toujours gagnante sur
la durée. Allons enfin se faire voir chez les Grecs, le grec ancien plus précisément
: Dès Grammaire - la troisième année -, il nous était proposé de choisir entre
l’anglais, l’italien ou le grec. La pression de l’anglais était moins pesante
qu’aujourd’hui, mais il s’avérait déjà que consacrer 6 heures par semaine à l’étude
d’une langue morte, en plus du latin, échappait totalement à la rationalité économique
et aux exigences du monde moderne. Rien ne semblait justifier ce long apprentissage
si ce n’est un élitisme de mauvais aloi... Il est vrai, aujourd’hui encore plus
qu’hier, que la pratique des langues modernes est essentielle. Les Welsches rétifs
à la langue de Goethe que nous étions paient tous les jours cette réticence, la
majorité germanophone de notre pays comme la minorité itou de notre canton étant
très présentes et agissantes…Les relations internationales, qu’elles soient commerciales
ou non, usent de l’anglais... Même les Suisses-allemands préfèrent la langue de
Shakespeare à celle de Voltaire pour converser avec nous, les Romands qui ne parlons
guère le Schwytzerdütsch... Pourtant, si c’était à refaire, le grec serait à nouveau
notre choix. Non pour le plaisir de contrer la progression de l’anglais, mais
pour l’apport extraordinaire de cette langue, pourtant morte, à l’apprentissage
et à la maîtrise de la nôtre et de son écriture, pour l’ouverture à la Grèce antique
et à ses innombrables richesses, pour la démocratie née aussi de cette langue,
dans cette langue... N’est-il pas utile de rappeler aujourd’hui que la démocratie
est bien le gouvernement par le peuple, et non par l’intérêt privé de chacun :
la solidarité déjà se trouve discrètement cachée dans le mot démocratie. Il en
va de même pour le terme "politique", issu du mot grec "polis", la cité, lequel
a donné naissance à l’art de conduire les affaires de l’Etat ou, plus prosaïquement
comme l’on dit chez nous, du canton. Et l’énumération pourrait se prolonger jusqu’aux
calendes ... grecques tant l’apport de cette civilisation a été majeur pour la
nôtre. Chers vous tous, Vous l’aurez compris. A l’exemple d’une mosaïque telle
que celle qui orne le hall d’entrée de ce théâtre du Martolet, chacun d’entre
nous s’édifie pièce par pièce, chacune de ces pièces, pâle ou colorée, n’offrant
un intérêt que si elle contribue à créer un ensemble harmonieux. Chacune des pièces
disparaît au profit du tout. Ne nous demandez plus, par exemple, de former la
lettre k minuscule dans le respect des règles de la calligraphie, ni de monter
aux perches en trois secondes, ni même de déclamer une strophe de Pindare ou de
citer quelques plats, pardon quelques phrases du Banquet de Platon ! Les connaissances
acquises, les expériences vécues, les joies et les peines ont fusionné pour créer
chacune de nos personnalités. A cet égard, l’apport du Collège de Saint-Maurice
est particulièrement riche, je dirai même royal car, en plus des connaissances,
il cherche à transmettre des valeurs, chrétiennes et humaines, auxquelles on puisse
se référer tout au long de sa vie, quel que soit le cours qu’elle prend. Les discours
trop longs appellent les sifflets comme le clou qui dépasse appelle le marteau...
Vous attendez la conclusion, la voici. Pour revenir à la Genèse, que se passa-t-il
le 7ème jour de la création du monde ? Ce jour fut décrété jour de repos... Vous
aurez à construire le monde, vous méritez bien un jour de congé, "bel et bon"
comme l’a chanté le Choeur du Collège : nous vous l’offrons bien volontiers, laissant
à Monsieur le Recteur le seul choix de sa date. Profitez-en. Nos voeux vous accompagnent.
Jean-Paul Duroux Président du Grand Conseil Jean-Jacques Rey-Bellet Président
du Conseil d’Etat |